Le kamishibaï relie le monde – Yuiko Tsuno

Nikkei Shinbun (Journal économique du Japon), 13 janvier 2023

Les portes du butaï s’ouvrent doucement et l’image apparaît… Le kamishibaï est utilisé dans les bibliothèques et les écoles maternelles, mais peu connaissent sa véritable force.

Je crée et dis mes kamishibaïs depuis bientôt 10 ans au Japon et en France, pays dans lequel j’ai passé mes premières années. Jusqu’à présent, j’en ai réalisé 42.

« La Poule brune et le Renard futé » est l’une de mes œuvres publiées en France. Elle raconte l’histoire d’une poule débordée par la quantité d’œufs qu’elle vient de pondre. Le renard la surveille, puis il s’approche d’elle avec l’intention de gober tous ses œufs…

Mon thème est autour de la transformation du cœur humain. Alors qu’il était habité par la peur de l’autre, de celui qui est différent, il se remplit de chaleur humaine et d’humanité.

Depuis mon enfance j’ai toujours aimé peindre, j’ai fait des études aux Beaux Arts et à l’université. Après un master, j’ai fait aussi du théâtre. À un moment donné, je voulais trouver une activité artistique qui me permettrait de réunir les arts plastiques et le théâtre. C’est ainsi que j’ai commencé à faire le kamishibaï qui me paraissait répondre à mon souhait, sans rien connaître que le souvenir flou de mon enfance dans l’école maternelle et l’image nostalgique d’une personne qui porte son kamishibaï sur son vélo que j’avais vu dans un manga.

En 2014, lorsque j’ai présenté mes kamishibaïs pour la première fois en France, j’ai compris que là-bas, le kamishibaï n’était pas considéré comme un outil désuet, ce qui peut parfois être le cas au japon. En France le kamishibaï est reconnu comme un nouveau moyen d’expression très intéressant. Ce constat m’a donné envie de renforcer ma formation. C’est la raison pour laquelle, la même année, j’ai suivi la formation d’IKAJA (Association Internationale du Kamishibaï du Japon) sur la théorie du kamishibaï.

L’histoire a pris un grand tournant en 2015. Au Festival d’Avignon, alors que je faisais le kamishibaï dans la rue, par le plus grand des hasards j’ai rencontré Georgette et Robert qui eux, créaient des marionnettes et des masques pour le théâtre. Ils ont été très intéressés par le kamishibaï et motivés pour découvrir ce nouveau moyen d’expression. Aussi, lorsque je leur ai dit que je venais à Lyon, où ils vivaient, ils m’ont tout de suite donné leurs prénom-nom, numéro de téléphone, adresse mail et même leur adresse postale !

En 2017, j’ai coorganisé avec la Maison de la Culture du Japon à Paris le Festival de Kamishibaï. J’ai raconté le succès de cet évènement à Georgette et, de là a germé l’idée de créer un pareil événement dans la région lyonnaise l’a sollicité à faire un événement pareil dans la région lyonnaise. Le lendemain elle a aussitôt rencontré le directeur de la Médiathèque de Francheville, puis les responsables des projets culturels et tous ont validé la création d’un premier Festival Kamishibaï. Une dizaine d’artistes plasticiens/comédiens se sont regroupés pour suivre une formation et créer leurs kamishibaïs. C‘est ainsi que le Collectif Kamishibaï UltraMobile est né, en même temps que Le Festival Kamishibaï qui a eu lieu en 2018, à Francheville.

Ce festival a, lui aussi, connu un beau succès. C’est à cette occasion que nous avons rencontré Camille et Myriam, deux passionnées de kamishibaï, responsables de la section jeunesse à la Bibliothèque Municipale de Lyon, reconnue pour ses archives parmi les plus anciennes de France. Cette rencontre a permis au Collectif UltraMobile d’être le partenaire privilégié de l’équipe très motivée de la kamishithèque de la BML qui, en 2019 a créé la première biennale de Kamishibaï.

Aujourd’hui, le kamishibaï se répand non seulement en France mais aussi dans le monde entier. Dans notre société où l’utilisation de la tablette est devenue quotidienne, la pratique du kamishibaï présente un vif intérêt pour ses qualités pédagogiques et artistiques. Le kamishibaï sans parole est universel, il brise la barrière linguistique et suscite un vif intérêt de la part de nombreux artistes. Le kamishibaï permet de transmettre les sentiments, les intentions que l’auteur avait projetés dans son œuvre.

De la même façon que les planches d’illustrations apparaissent hors du butaï les unes après les autres, l’univers de l’œuvre s’échappe également du butaï pour se transmettre à chacun, jusqu’à notre monde réel. Je suis persuadée que c’est grâce à cette « magie » du Kamishibaï que j’ai pu faire autant de rencontres formidables.

La parole de Kyoko Sakaï, la porte-parole d’IKAJA est ancrée profondément dans mon cœur. Je me souviens de ses mots lorsque nous avons voyagé ensemble en Espagne, : « Le kamishibaï n’est pas un simple divertissement, il a le pouvoir de changer le monde.» Plus j’exerce cet art, et plus j’en suis convaincue.

L’histoire du kamishibaï varie selon son auteur, mais je considère que la vraie force du kamishibaï est déployée lorsqu’il transmet la joie de vivre et la beauté de la vie. J’aimerais créer des œuvres qui inciteraient les enfants et les adultes à se dire : La vie est belle ! Et je souhaite que cette joie se répande dans le monde entier.